Véhicules électriques : l’élan mondial s’essouffle

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Le passage du thermique à l’électrique ne se fait pas sans difficulté. La question de la demande a été sans doute occultée de façon trop légère. D’autant que les entreprises chinoises vont déferler.

Dans l’automobile, la révolution de l’électrique devait être rapide et globale. La prise de conscience écologiste imposait en effet ce changement brutal de paradigme. Ainsi, les constructeurs ont pour la plupart investi massivement dans de nouvelles lignes de production et lancé de nouvelles gammes de véhicules, rassurés quant au niveau de la demande. De leur côté, les pouvoirs publics ont encouragé cette mutation en devenir, à grands renforts de subventions pour les automobiles « vertes » et de malus, frappant les polluantes voitures thermiques. Pour autant, la démocratisation de ce marché reste à construire et de nombreux écueils se dressent (cherté des nouveaux modèles, autonomie des batteries, temps de recharge, subventions devenues moins généreuses). Dès lors, les prévisions linéaires, qui avaient été établies il y a quelques années avec euphorie, ont été révisées à la baisse.

Quelques chiffres sur la part de l'électrique

Considérée dans son ensemble, l’industrie automobile des véhicules particuliers (VP) s’est bien redressée ces derniers mois, après une période de trois ans marquée par la pandémie de covid-19, les perturbations dans les chaînes logistiques (plus particulièrement dans le domaine des semi-conducteurs) et les tensions liées aux matières premières comme à l’inflation. En 2023, les ventes mondiales devraient ainsi avoir progressé de +10% pour atteindre près de 90 millions d’unités. Combien pèse le secteur des véhicules électriques (VE) dans le monde ? La part de marché des voitures électriques à batterie (BEV) et électriques hybrides (HEV) ressort à environ 16% au 3ème trimestre 2023, contre 13% sur la même période en 2022 et 9% en 2021. L’électrification des véhicules poursuit donc sa progression, malgré un fléchissement récent. Mais le thermique fait encore mieux que résister. Pour certains analystes, le secteur a finalement très vite gagné en maturité. En d’autres termes, la part de marché des véhicules électriques pourrait ne plus croître aussi vite, voire stagner.

Des interrogations qui se font plus présentes

Et si les constructeurs (dans leur très grande majorité) et les pouvoirs publics étaient allés trop vite en besogne ? De la même manière qu’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, le consommateur est-il véritablement prêt à payer un véhicule qui souffre encore actuellement de profondes limites techniques ? « Le monde est un peu trop impatient avec l’électrique », déclarait récemment Luca de Meo, le directeur général de Renault. Mais que dire alors de la réglementation européenne qui entend tout simplement interdire la vente de véhicules thermiques sur le Vieux Continent à partir de 2035 ? Le basculement vers l’électrique a nécessité une profonde remise en cause et l’adoption, à grands renforts de capitaux, de nouvelles plateformes d’assemblages spécifiques. Cette transition a coûté très cher à l’industrie automobile, laquelle a logiquement mis l’accent sur les véhicules haut de gamme les plus rémunérateurs.

Reste que la demande sur ce segment semble avoir assez vite atteint ses propres limites. Dans les véhicules plus compacts offrant des options plus abordables, les marges sont très réduites et pourraient être ramenées à zéro alors que les fabricants chinois font montre ici d’une agressivité rarement observée. Enfin, le renchérissement du crédit, lié aux politiques monétaires plus restrictives de la Fed comme de la BCE, pénalise les achats de biens durables. Le Vieux Continent, où les véhicules électriques ont fait jusqu’ici une des plus belles percées, est par ailleurs confronté à un ralentissement conjoncturel patent (la récession pointe son nez), ce qui pénalise là encore la demande. Dans ce cadre, les constructeurs automobiles commencent d’ailleurs à repenser leur approche (on reparle plus volontiers de fusions entre acteurs de référence, comme l’ont montré les récentes rumeurs faisant état d’un rapprochement entre Renault et Stellantis) et réviser certaines de leurs perspectives.

Des signaux négatifs

L’introduction en Bourse d’Ampere, la filiale électrique de Renault, a été reportée sine die, ce qui témoigne d’une prise en compte de la réalité. L’ex-régie se veut rassurante, mais ce report est lourd de sens. Il est vrai que les signaux négatifs ont été nombreux. Pensons ainsi à la très emblématique entreprise américaine Tesla faisant état de difficultés à court terme (baisse des marges) et du fort ralentissement à venir de la croissance de ses ventes, ou encore de la révision en baisse par Ford et General Motors de leurs objectifs de production dans l’électrique (« nous construirons en fonction de la demande », avait cru bon de rappeler la P.-D.G. de ce dernier, Mary Barra).

Les fournisseurs de l’industrie souffrent également d’une situation devenue plus difficile. Ainsi à l’image du chinois CATL dans les batteries, lequel a indiqué s’attendre à un rythme de croissance de ses bénéfices plus lent que prévu cette année. L’américain Albemarle, le 1er producteur mondial de lithium qui constitue un des matériaux clés des batteries, va pour sa part supprimer jusqu’à 4% de ses effectifs et réduire ses dépenses d’investissements en réponse à la chute des prix. En Allemagne, pays européen de l’automobile s’il en est, la fin de la prime écologique pourrait lourdement peser sur les ventes de véhicules électriques, selon le Centre de management automobile (CAM) qui table sur une baisse de la production de 50 000 à 100 000 unités en 2024.

Du côté des états-Unis, les investisseurs ont déjà pris acte de cette nette évolution des fondamentaux. Les petits acteurs « disruptifs » comme Rivian ou Nikola ont vu leurs titres s’effondrer (respectivement de -33% et -20% depuis le 1er janvier 2024). Quant au géant Tesla, il abandonne -24% sur 2024 et près de -53% sur son sommet historique. On relèvera enfin que les valeurs chinoises ont également souffert en ce début d’année, qu’il s’agisse de Li Auto (-18%) ou bien encore de BYD (-13%).

La concurrence chinoise : un tsunami en devenir

Une demande moins dynamique et une offre plus importante. Tel est donc le contexte dans lequel vont évoluer les fabricants de véhicules électriques. Car la concurrence venant de Chine s’annonce particulièrement redoutable. Et si en Europe comme aux états-Unis, des réglementations spécifiques visant à freiner la déferlante sont sur le point d’être mises en place, elles ne pourront empêcher l’inéluctable. Elon Musk, le turbulent P.-D.G. de Tesla, n’y est d’ailleurs pas allé par quatre chemins : « s’il n’y avait pas de barrières commerciales, [les constructeurs chinois de véhicules électriques] démoliraient toutes les autres entreprises automobiles du monde », a-t-il ainsi prophétisé.

Les constructeurs chinois sont en fait partis de rien. Ils avaient été quasi absents du marché thermique, car « arrivés » trop tard. Avec l’électrique, ils jouent assurément leur revanche. Et l’état chinois a multiplié les soutiens tous azimuts, à grands renforts de subventions et aides ciblées, autant que déguisées. à cet égard, la Commission européenne estime que les véhicules électriques chinois sont commercialisés à des prix inférieurs de -20% à ceux produits en Europe. Selon les analyses du cabinet Allianz, cette concurrence chinoise pourrait entraîner une perte potentielle annuelle de bénéfices nets de plus de 7 Mds € pour la seule industrie automobile de l’Union européenne d’ici à 2030.

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